COP21 : Vers un accord non contraignant, qui se soustrait à la contrainte climatique !
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COP21 : Vers un accord non contraignant, qui se soustrait à la contrainte climatique !
Par Maxime Combes
13 novembre 2015
Selon John Kerry, « l’accord de Paris ne sera pas contraignant ». En réponse, François Hollande affirme qu’il « sera contraignant ou ne sera pas ». La réalité ? En plus de préparer un accord (globalement) non contraignant, les Etats essaient de se soustraire à la contrainte climatique (mais pas aux puissantes contraintes juridiques climaticides fixées par les accords commerciaux internationaux).
Journalistes et commentateurs se sont étonnés – certains faisant mine de s’étrangler – des déclarations de John Kerry dans la presse : « ce ne sera certainement pas un traité (…) et il n’y aura pas d’objectifs de réduction juridiquement contraignants comme cela avait été le cas à Kyoto » a affirmé le secrétaire d’Etat américain dans le Financial Times. Il n’y a pourtant rien de surprenant, puisque Kerry exprime à travers ces mots une position constante de la diplomatie américaine à ce sujet : les Etats-Unis ne veulent pas ratifier un texte international qui institue une contrainte légale internationale qui pourrait leur être opposée en matière de réchauffement climatique. Rappelons ici ce que nous écrivions dès décembre 2014 – certains devraient nous lire plus souvent – à ce sujet :
« Si un accord est possible en 2015, il ne sera ni juridiquement contraignant, ni à la hauteur des enjeux. Barack Obama ne veut pas d’accord juridiquement contraignant en matière de climat. Il l’a clairement affirmé à la fin de l’été 2014, préférant un instrument juridique souple qui invite les Etats à définir et annoncer, à intervalles de temps réguliers et de manière unilatérale, leurs propres engagements (réduction d’émissions, financements, etc.) pour une période donnée. A travers ce modèle dit de « Name & shame », chaque pays se verra accorder un satisfecit international si ses objectifs sont jugés suffisants et s’ils sont atteints, et il sera « couvert de honte » dans le cas contraire ».
« Risque de réputation » ou « contrainte juridique » ?
C’est exactement ce qui est en train de se passer : les Etats ont déterminé au niveau national, en fonction de leurs propres situations et désirs, des contributions nationales (INDCs dans la novlangue de l’ONU) qui ne pourront leur être opposées sur le plan du droit international.Ainsi, à la contrainte juridique, seule à-même d’instituer une contrainte et un engagement politique forts, il est préféré une déclaration d’intention sans valeur légale internationale. Quand François Hollande affirme que « les engagements qui ont été pris devront être tenus et respectés », c’est peut-être un souhait présidentiel, mais aucunement la traduction orale d’un dispositif légal dans le cadre des négociations.
Explications. L’accord de Paris comporte trois dimensions principales :
un nouvel instrument juridique qui prendra la suite du protocole de Kyoto après 2020 et qui fixe les principes et les mécanismes qui organiseront les négociations à partir de 2020 ;
un second texte classique, similaire à tous les textes de fin de COP, qui répertorie le travail effectué dans le processus de négociations et précise toute une série de décisions qui n’ont pas la valeur d’un traité international contraignant : c’est ici qu’il sera mentionné que la COP21 « accueille avec bienveillance » les contributions nationales des Etats que ces derniers ont rendu public en 2015 ;
une série d’annexes et de textes complémentaires, sans aucune force légale, qui comprendront notamment le contenu des contributions nationales des Etats ;
Des inventaires plutôt que des clauses de révision à la hausse
Au lieu d’écrire que les Etats devront (shall) réaliser les objectifs qu’ils se sont fixés dans les INDCs, les Etats devraient se limiter à une formule selon laquelle ils « mettront en œuvre des politiques nationales visant à atteindre » ces objectifs. Entre l’impératif du « shall » et les incertitudes d’une formule telle que « visant à », on voit très clairement la faible portée juridique et contraignante des engagements pris. Les contributions nationales des Etats n’auront donc aucune fore légale : aucun Etat ne sera sanctionné sur le plan du droit international s’il ne devait pas accomplir ses objectifs. La contrainte dont parlent François Hollande et Laurent Fabius ne repose donc que sur l’effet de réputation dans le cas où un Etat se retrouverait pointé du doigt par l’opinion publique s’il n’atteint pas ses objectifs. Un tel dispositif n’institue aucun instrument juridique de sanction en cas de non respect des objectifs.
Laurent Fabius l’a d’ailleurs admis à demi-mots en déclarant qu’on pouvait « discuter de la nature juridique de l’accord » et en précisant qu’un « certain nombre de dispositions doivent avoir un effet pratique ». « Un effet pratique » n’est plus tout-à-fait une « contrainte juridique ». Laurent Fabius fait référence aux mécanismes en cours de discussion qui pourraient prévoir que soient réalisés des inventaires (« stockating » en anglais) réguliers (tous les cinq ans ?) des INDCs pour voir ce qui a été atteint et ce qui ne l’a pas été. Les ONG, associations et syndicats exigent que ces inventaires – dont la transparence est sujette à caution – soient l’occasion d’obtenir des engagements plus ambitieux à travers la mise en œuvre de véritables mécanismes de révision à la hausse des INDCs. A ce jour, si les inventaires devraient bien être mentionnés dans le texte final de l’accord, il n’est pas du tout certain qu’il y ait des clauses de révision à la hausse des engagements des Etats.
La contrainte vaut pour le commerce, pas pour le climat !
Certains commentateurs, qui se présentent comme des spécialistes des négociations sur le réchauffement climatique, ne cessent d’affirmer que « les Etats-Unis n’ont jamais ratifié des accords qui prévoient des clauses avec sanctions » et qu’il ne faut donc pas être surpris. D’autres affirment que la contrainte juridique n’est pas l’essentiel et qu’il faut se concentrer sur l’efficacité pratique des mécanismes. C’est oublier un peu vite qu’il existe au niveau international de puissantes contraintes légales – dont les Etats-Unis sont d’ardents promoteurs – et qui ont été fixées dans le cadre des accords de libéralisation du commerce et de l’investissement. En cas de non respect des règles ratifiées, es Etats peuvent être attaqués par d’autres Etats via l’Organe des Règlements des différends de l’OMC ou par des multinationales via les tribunaux d’arbitrage prévus par ces Traités.
On voit là le faible empressement des Etats à constituer un droit de l’environnement qui pourrait être opposable au niveau international : des accords hyper contraignants sont signés en matière de commerce et d’investissement, tandis que c’est l’absence de contraintes légales qui est promue en terme d’environnement et de climat. Résultat ? Comme nous l’expliquons dans notre livre Sortons de l’âge des fossiles ! Manifeste pour la transition avec de nombreux exemples, la primauté du droit commercial sur le droit de l’environnement et sa capacité à obtenir que les Etats modifient leurs politiques publiques constituent aujourd’hui des entraves manifestes à la lutte contre les dérèglements climatiques et la mise en œuvre de politique de transition énergétique.
Une opposition qui se retrouve au cœur même des négociations de l’ONU puisque l’article 3.5 de la Convention-cadre sur le changement climatique de l’ONU établie en 1992 à Rio de Janeiro affirme extrêmement clairement que « les mesures prises pour lutter contre les changements climatiques [...] constituent un moyen d’imposer des discriminations arbitraires ou injustifiables sur le plan du commerce international, ou des entraves déguisées à ce commerce ». Le texte qui fonde les négociations sacralise donc les contraintes juridiques qui vont avec la libéralisation du commerce et de l’investissement. Sans doute une clef décisive pour comprendre le décalage croissant entre, d’un côté, la réalité de la globalisation économique et financière qui concourt à une exploitation sans limites des ressources d’énergies fossiles et, de l’autre, des politiques et négociations climatiques qui esquivent toute discussion sur les règles du commerce mondial.
Esquiver la contrainte climatique
A force de discuter de la nature juridique du prochain accord de Paris, on en oublierait presque la contrainte climatique qui s’exprime par cet objectif de réchauffement maximal de 2°C (ou moins) d’ici à la fin du siècle. Cette limite (que certains placent d’ailleurs désormais à 1,5°C), qui ne devrait pas être considérée comme un objectif mais comme « une ligne de défense » dont il faudrait se tenir éloignés le plus possible, est en train de perdre toute signification dans le cadre des négociations. En effet, en plus de ne lui donner aucune force légale, les négociations sur le réchauffement climatique sont en train d’enterrer quais-définitivement toute possibilité de revenir sur une trajectoire de 2°C dans le cas où ces contributions nationales volontaires et non contraignantes venaient à être entérinées lors de la COP21.
Explications. Les contributions nationales volontaires conduisent à un réchauffement climatique supérieur à 3°C, à augmenter les émissions mondiales d’au moins 10 % d’ici à 2030 et à utiliser près de 75% de l’ensemble du budget carbone dont nous disposons. Plutôt que de réaliser les efforts de réduction aujourd’hui, ces contributions nationales institutionnalisent une forme de procrastination généralisée qui conduit à minorer l’importance de cette ligne de défense des 2°C ou moins. En se fixant des objectifs de réduction d’émission qui sont très éloignés de ce qu’il faudrait faire, et en les rendant volontaires et non contraignants, les chefs d’Etat et de gouvernement essaient de fait de se soustraire à la contrainte climatique qui devraient s’imposer aux politiques publiques, à savoir contraindre celles-ci à la possibilité de réduire efficacement, durablement et suffisamment les émissions de gaz à effet de serre.
S’y refusant, les Etats font comme s’ils pouvaient se soustraire à la contrainte climatique. Et ce alors qu’on ne peut négocier avec le réchauffement climatique. Ce faisant, en validant des contributions nationales et non contraignantes, les Etats planifient de nouveaux et plus nombreux crimes climatiques. Avant même de parler du caractère contraignant de l’accord de Paris, il nous faut donc revenir à l’essentiel : parler du contenu et exiger que les Etats, notamment ceux qui ne font pas leur juste part (à commencer par le Japon, les Etats-Unis et l’Union européenne), s’engagent à réduire bien plus fortement leurs émissions de gaz à effet de serre.
Maxime Combes, économiste et membre d’Attac France.
Il publie Sortons de l’âge des fossiles ! Manifeste pour la transition, Seuil, coll. Anthropocène et il a co-coordonné Crime Climatique Stop ! L’appel de la société civile, Seuil, Anthropocène.